Inspiration : une soirée de nouvel an…

… Pour ce trente-et-un décembre, Agate est invitée chez son meilleur ami Gabin avec quelques autres convives. Elle ne sait pas très bien quoi penser de cette soirée. Elle ressent des émotions diverses et confuses. Impatience et appréhension. Désir et douleur se mêlent. Trop de souvenirs affluent. Plus ou moins bons. Pour se détendre, elle se glisse dans un bain chaud d’où s’échappent des effluves d’agrumes. Au moment de s’habiller, elle change d’avis sur sa tenue et vide sa garde-robe sur son lit en un tas épars. D’abord indécise, elle finit par opter pour une petite robe bleu nuit assortie à ses yeux. Elle portera des talons hauts mais pas trop. Quelques gouttes de Chanel N° 5 au creux des poignets et derrière ses lobes d’oreilles. Elle se sent enfin prête.

Un SMS lui rappelle que son taxi est arrivé.

Elle sonne chez Gabin avec fébrilité. Il l’accueille en lui ouvrant les bras. Elle s’y réfugie un instant puis recule pour mieux voir son visage. Elle l’interroge du regard. Ses yeux lui répondent qu’IL n’est pas arrivé. Soulagée – ou non – elle ne sait plus. Elle se débarrasse de son manteau, avant d’aller à la rencontre de la dizaine d’invités déjà sur place, premiers verres à la main. Des embrassades chaleureuses, des mots agréables, des présentations aussi. Des rires frappent les murs blancs, des regards lumineux s’échangent, un brouhaha ambiant sur un fond de musique soul. Un inconnu lui glisse une coupe de champagne dans la main. Merci. Le regard trop pétillant de l’homme sur elle lui déplaît. Elle n’a pas envie d’entendre les mots qu’il aurait pour elle. Les sens en alerte, elle s’échappe poliment. Une seule idée l’obsède. Une seule personne. Ses yeux sont aimantés vers la porte d’entrée. A chaque coup de sonnette, elle perd le souffle, ses mains deviennent moites et ses jambes molles. Gabin attend une vingtaine de personnes. Autant dire qu’elle n’a pas fini de frémir. 

L’ambiance se réchauffe au rythme des verres qui se vident. Des notes de musique virevoltent dans l’air tiède. Les invités déambulent entre cuisine et séjour. Certains sont assis sur des bords de canapés ou sur la table basse. Cocktails et bulles délient les langues. Agate est là depuis presque une heure quand elle passe dans le hall d’entrée. Tout à coup elle se fige, n’entend plus ni la musique, ni le brouhaha, ni les rires. Tous les bruits ont cessé autour d’elle. Le silence s’est abattu. Plus rien d’autre n’existe autour d’elle que ce qu’elle voit. Ses yeux sont accrochés sur le porte-manteau. Un chapeau y trône négligemment. Un Stetson. Usé. Légèrement craquelé. Il porte les stigmates d’un usage régulier, par tous les temps. Elle se souvient et lève une main pour l’effleurer du bout des doigts. Comme pour s’assurer que cette vision est bien réelle. Qu’elle ne rêve pas. Elle s’approche du couvre-chef. Le respire. Au même instant dans son dos, une voix grave et pénétrante, teintée d’un soupçon d’accent américain, perce l’air soudain étouffant.

Bonsoir Agate. 

Ces inflexions. Ce grain qui enrobe les voyelles. Elle le reconnaîtrait n’importe où. Son corps fait avec lenteur un quart de tour tandis que l’homme qui vient de parler s’approche d’elle. Sam ne lui laisse pas le temps de répondre que déjà ses lèvres charnues viennent se poser avec une douceur fébrile sur son front, entre deux mèches de cheveux qu’il repousse délicatement de ses doigts épais. Ce premier contact est une déflagration. Agate ferme les yeux durant deux fugaces secondes qui lui paraissent une vie. Elle cherche au loin sa respiration. Tout au fond. Puis son corps ressent un apaisement soudain. Une vague la submerge et s’écrase dans sa poitrine avant de dégouliner dans son ventre. 

— Bonsoir Sam.

— Désolé pour le retard. 

Il lui annonce ça comme s’il savait qu’elle était là et qu’elle l’attendait, là maintenant. Une fois de plus, l’attitude naturelle de Sam en toute circonstance l’impressionne. Elle ne s’y habituera donc jamais. 

La fête. Les autres. Le bruit. Tout reprend place dans son esprit. Elle atterrit. Elle se remet doucement du choc de son apparition. Elle aime la couleur chaude qui vient de l’envelopper, le même air qu’ils respirent ensemble. D’autorité Sam lui prend la main, l’entraîne dans le séjour et lui tend un verre. Ses doigts laissent une trace brûlante dans ceux de la jeune femme.

— Tiens, une Margarita. À nos retrouvailles Agate. 

Il se souvient lui aussi. Il n’a rien oublié. Ses yeux gris sondent les siens comme autrefois. Il n’a pas beaucoup changé. Seuls quelques fils blancs dans sa barbe ont pris possession des lieux. Quelques rides au coin des yeux aussi, que le soleil ne réussit pas à atteindre. Ces signes qui rappellent que le temps est le maître. Maître de tout. Toujours. Agate n’a pas encore dit un mot. Elle se laisse porter. Ses pieds ne touchent plus terre. Muette. Remuée. Puis elle retrouve une respiration moins saccadée et trinque avec lui.

— C’était long Sam.

Elle a osé. Enfin. Après tant d’années de silence. Elle a franchi le fameux cap des quatre secondes. Celles au-delà desquelles l’élan du cœur s’effondre, rattrapé par la peur et les freins. Celles au-delà desquelles on n’ose jamais plus. 

 Pour toute réponse, il lui sourit…

Laisser un commentaire

Retour en haut ↑