Je suis celui qu’elle ne quitte jamais

Ils sont nombreux autour de moi. Une véritable forêt ! Nous sommes tous différents et singuliers. Parmi nous certains sont sans intérêt, stupides et creux dans leurs propos. D’autres plus forts, plus puissants. Physiquement, des fins, des gros. Se démarquer n’est pas chose aisée. Pourtant, j’ai de la chance. Je suis l’élu du moment.

Moi, elle m’aime beaucoup. Je la touche avec mes mots délicats, elle est sensible à mon style. Je perçois son sourire quand elle plonge son regard en moi, quand elle me fouille, me déchiffre ; à d’autres moments ses yeux s’embuent. Je l’émeus, et en retour, elle prend soin de moi, me protège et me respecte profondément. Me défends bec et ongles même. Elle sait combien je lui suis précieux et nécessaire. Combien j’éclaire sa vie. Ensemble nous voyageons dans un autre monde.

Elle apprécie la plupart de mes messages, même si parfois, nous sommes en désaccord. Elle ne s’obstine pas et remet en question ses certitudes, cherche à comprendre.

Elle aime ma sensorialité. Ma manière d’éveiller ses sens. Elle me prodigue des caresses d’une douceur infinie et raffole de mon parfum. Elle colle souvent son nez contre moi, me hume sous toutes les coutures. Son attachement à moi est irréversible. Extrêmement possessive, elle m’emmène partout. Je ne la quitte pas du matin au soir ni du soir au matin. La nuit, je la passe tout contre elle, sa main sur moi. En contact quasi permanent. Fusionnels. La différence d’âge entre nous n’a aucune importance. Je suis intemporel. Éternel.

S’il m’était donné d’éprouver un sentiment, ce serait une forme de jalousie. Envers celui qui m’a façonné, qui a fait de moi ce que je suis. Celui qui, sur mon corps nu et blanc, sur ma peau au grain velouté, est venu tatouer une histoire à l’encre noire.

Une histoire qui la touche tant, elle, que la confusion est permise. Il est possible que ce soit pour lui -ce créateur- qu’elle ressente autant d’admiration, et non pour moi-même.

Qui sait ?

Lui, fait de chair et d’os. L’écrivain.

Je ne suis que papier. Son œuvre.

Pour elle, la lectrice.