Insomnie masculine

Il tourne. Se retourne. Encore et encore. Se recroqueville. S’étend bras en croix. Enlace son oreiller puis le repousse. C’est le cœur lourd qu’il sombre chimiquement au bord du petit matin. Et c’est avec le cœur toujours aussi épais qu’il pose péniblement un pied à terre, au réveil, après quelques heures à peine. Dans un état qui annonce déjà le temps infini à étirer jusqu’au soir. L’homme a glissé vers ce syndrôme de certains nouveaux-nés qui n’ont pas de repères. Encore in utero dans leur tête, ils confondent nuit et jour. Cet homme aussi aimerait être toujours in utero. Bien à l’abri du monde. De ses travers et tentations. De ses vis sans fin. De ses emmerdes. Lui le mélancolique à ses heures obscures.

La grande carcasse se déploie, endolorie et encombrante. Empêtrée dans un sommeil artificiel inassouvi, elle a des difficultés à se mouvoir. Pas après pas elle se rend à la cuisine. La main droite un peu gauche insère une capsule dans la machine. L’eau, oui, penser à mettre de l’eau. Dans un bruit de rot, l’appareil crache son venin miracle. Noir, sans nuage d’aucune sorte, Soulages au fond de la tasse, avec ses nuances qui laissent des empreintes là où les lèvres se posent. Ce premier café sera un propulseur vers la lucidité. Silence demandé. Nécessaire. Nulle voix, encore moins une expression excessive de bonne humeur, ne saurait être tolérée avant à minima, la seconde dose agrémentée de tartines. Ou quoi que ce soit pour combler cet estomac qui réclame la nuit aussi… Le temps que les yeux en amande prennent toute leur ampleur, que les cernes et rides qui les soulignent s’estompent légèrement. Que les paupières retrouvent leur finesse. Les stigmates des insomnies ont une fâcheuse tendance à persister dans la durée. Un troisième arabica sera nécessaire pour qu’enfin corps et esprit s’accordent.

Quant au cœur, lui, c’est une autre et longue histoire. Une histoire de palpitations qui renaissent, qui blessent certes, mais qui rappellent malgré tout que la vie est bien là. 

Le jour se lève ce matin. Et se lèvera toujours. Infiniment. 

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