J’aime les gares…

J’aime les gares. J’aime ce qu’elles véhiculent de mixité humaine.

De diversité. D’espoir. De peines. De revoir l’un. De quitter l’autre.

Ce qu’elles abritent d’attente et de surprise. De vies. Les gares sont aussi le lieu des premières fois. Premier départ. Ou première rencontre. Parfois même unique.

J’aime ce qu’elles révèlent autant que ce qu’elles cachent. 

Je les aime avec ma propre musique dans les oreilles. Où vont tous ces êtres ? Où courent-ils tous ? Qui patiente à l’autre bout, en fin de voyage ? Qui les accueille ? La solitude parfois. Sans doute.

Un hall de gare c’est un mouvement. Que je vois, que j’éprouve. Une marée d’individus en ondulation. Un élan que je perçois sur les corps. Balancements de bras, de jambes. Tension et hâte dans la marche. Agitation. Presque un soulèvement. Un ruissellement d’êtres. Qui se croisent sans se voir. Se bousculent sans se toucher.

Un débit de bruits que je n’entends pas puisque j’ai délibérément choisi les miens. Musicaux, avec Simon & Garfunkel. Froissement de tissus soupçonnés. Pas qui claquent dans mon silence urbain. Dans l’espace clos que je me suis créé. Cacophonie que je lis sur les lèvres croisées. Tumulte que je devine sur les visages. Même fermés. Grognements. Discussions. Conversations téléphoniques, presque imaginaires. Des voix déversées dans l’air qui coulent dans des oreillettes invisibles. Des bribes d’échanges incohérents. 

Je flotte au milieu. Je danse. Tant d’existences mêlées, tant de destins qui se frôlent. De corps qui se cherchent. Qui se repoussent. Eux ne me voient pas. Ne savent pas que je les observe depuis mon cocon. Ma bulle. Depuis The sound of silence soufflé à mes oreilles. Je les traverse tous à contre-courant. Ces inconnus. Jeunes, laids, blancs, négligés, vieux, hommes, noirs, femmes, élégants… Mes yeux cognent aussi sur des disgrâces. S’élèvent et les survolent.

Ici une femme venue tel un cadeau inattendu retrouver un proche sur le quai. Son air ébahi à lui. Sa fébrilité à elle. Là, un homme, pieds ancrés assurément dans un alignement parfait avec ses épaules, lunettes de soleil rondes, regarde son amie arriver vers lui. Elle ne remarque pas immédiatement sa présence. Puis sourit quand elle trébuche sur lui. Ils s’enlacent brièvement. Plus loin, une poignée de main qui présage déjà des lendemains bouleversants. Au-dessus, quelques notes de piano s’égrènent et planent dans l’air tiède. Je le devine aux longs doigts qui chatouillent le clavier. Un enfant crie, sa bouche grande ouverte dans une grimace douloureuse me le signifie.

Puis par hasard ou miracle, au milieu, comme un trésor, l’évocation de la beauté. Nichée dans un regard. Dans le sourire que dit ce regard. Envie de le capter. Le piéger dans le mien. La grâce blottie dans une attitude. Une douceur. Ou une brutalité désirable.

J’aime les gares. 

Tant de vies s’y engouffrent et disparaissent.

Tant de peines. Tant d’amours y naissent et y meurent. 

Tant de promesses…

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