Episode 15 fin : Agate Lecoeur 

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Louise relit la lettre découverte avant que sa mère n’arrive en haut de l’escalier d’où elle a chuté.

“Louise, je ne suis pas douée pour écrire, je ne suis pas comme toi, toujours le nez fourré dans les bouquins.Ce que je te révèle maintenant est encore plus difficile à dire de vive voix. Je ne veux pas voir ton regard. Je ne suis pas vraiment fière de ce que je vais te raconter. J’ai  mal agi avec toi. Pourtant quand tout est arrivé, je ne voyais pas d’autre solution. J’étais paumée et j’ai fait ce qui me semblait bon sur le moment. Il faut que tu saches qu’avant ta naissance, comme aujourd’hui d’ailleurs, j’étais seule. J’ai toujours fait des petits boulots. Je sais rien faire d’autre. Il y a quelques années, je faisais des extras pour un traiteur à domicile. Je servais donc une fois par mois chez un client. qui organisait des cocktails dans son entreprise pour trouver de nouveaux clients. Une entreprise reconnue par tous aujourd’hui. L’homme était gentil, respectueux, charmant. Il discutait souvent avec.

Je me souviens encore du jour, c’était un vendredi soir… Mes collègues étaient déjà partis et il avait besoin de parler plus que d’habitude. Il m’a donc proposé un café que j’ai accepté. J’étais très partagée. À la fois heureuse de voir qu’un tel homme puisse s’intéresser à moi, et en même temps, terrorisée à l’idée que mon patron puisse l’apprendre. S’attarder chez un client après ma mission… Je risquais de perdre ma place et je ne pouvais pas me le permettre. Pourtant j’étais flattée et bien avec lui. Il m’a confié sa solitude, j’ai reconnu la mienne. Il réussissait professionnellement mais sa vie privée n’était pas facile. Il élevait seul une enfant d’une dizaine d’années. Finalement nous avons passé la nuit ensemble. Puis nous nous sommes revus quelques fois. Nous prenions du bon temps ensemble, c’était tout. Sans projet commun. Je n’osais rien imaginer de plus, mais je ne pouvais m’empêcher de rêver. Pourtant je savais que je n’avais pas ma place à ses côtés, moi la petite serveuse. Je crois que j’étais amoureuse.

Puis un jour, il m’a annoncé vouloir rompre. Il aimait nos moments ensemble mais ne pouvait rien me promettre de plus. Très pris par son entreprise et par l’éducation de sa fille avec qui il vivait une relation fusionnelle il n’avait de place pour une femme. J’étais plus jeune que lui de dix ans et il me rendait ma liberté. J’étais brisée. Tout s’effondrait. Une colère qui ne s’est jamais totalement apaisée a commencé à gronder. Persuadée que c’était mon statut qu’il rejetait. Je lui ai dit et il a été vexé. Rien n’y faisait, je n’arrivais pas à m’ôter cette idée de la tête.

Ma colère s’est transformée en une rage quelques semaines plus tard. J’étais enceinte. Résignée, je ne voulais pas le lui annoncer. La petite serveuse se débrouillerait seule. Qu’il s’occupe de sa fille ! Puis tu es née. La vie n’a pas été facile. Ce sentiment de ne pas mériter d’être aimée m’a envahie. Au point de ne rien te révéler. Au point de te mentir sans honte pour avoir la paix. Voilà pourquoi je t’ai fait croire que je ne savais pas qui était ton père. Une aventure d’un soir. Je savais que tu me jugerais mal mais que tu ne pourrais jamais partir à sa recherche. J’étais tranquille. Même si ton père et moi n’étions plus du tout en contact, je suivais de loin sa carrière grâce à Internet. Quelque chose tout au fond de moi m’y poussait. Plus je le voyais évoluer, plus je m’enfonçais dans ma condition sociale médiocre. Plus je me sentais minable, et plus j’étais confortée dans mon choix de te taire son identité.

La raison qui m’a incitée à t’écrire est un livre que tu as lu. Et va savoir pourquoi, alors que nous n’échangeons jamais ensemble sur ces sujets, tu m’as parlé de son auteure et de son écriture que tu appréciais. Je t’avais à peine écoutée jusqu’à ce que je tombe sur ce livre dans ta chambre. Alors tout a basculé. Dès que je l’ai tenu entre mes mains, j’ai su. J’ai paniqué. J’étais prise d’une angoisse terrible. J’ai aussitôt voulu lire ce livre moi aussi. Un des seuls que j’ai lus.

“Sans toi”, d’Agate Lecoeur. Ta demi-sœur.

Je ne sais pas si tu pourras me pardonner. Je suis la seule responsable du vide qui a grandi en toi. 

 Paul Lecoeur était ton père.” 

FIN

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